Les 30 ans de la Sellerie Gaston Mercier… l’origine

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Il y a 30 ans, article de Xavier Libbrecht paru dans « L’Information Hippique L’Éperon

Gaston Mercier… Terminer en gagnant…

La médaille d’or de Gaston Mercier au dernier championnat d’Europe d’Endurance (Erlangen) relève-t-elle du hasard ? Oui – et c’est encourageant pour l’avenir de chacun d’entre nous – si l’on considère qu’il y a vingt ans rien ne permettait de penser que cet Aveyronnais pratiquerait avec succès un sport à son plus haut niveau.

Il y a 30 ans, Gaston Mercier, le temps d’une « pause » méritée dans l’encoignure d’une porte hospitalière.

Non, si l’on veut bien admettre que sa démarche, son approche de l’endurance sont justes. Avec lui, la formule « terminer c’est gagner » semble désuète. Parce qu’il a assimilé évidemment nombre de connaissances sur la sélection des chevaux, sur leur préparation et sur la manière de courir.

A Rodez, mi-août, huit jours après son succès à Erlangen (RFA), le chauffeur de taxi ignorait que Gaston Mercier était champion d’Europe d’Endurance. Mais à Millau – c’est un peu plus près de Laclau – il paraît que le cavalier de Mao IV a davantage de supporters.

Il a longtemps roulé sa bosse avant de venir s’installer voici dix ans au Mas de Vinaigre

Il faut dire que Mercier en est originaire et que, même s’il a longtemps roulé sa bosse avant de venir s’installer voici dix ans au Mas de Vinaigre, quand les racines existent quelque part, il faut peu pour que, le jour voulu, les feuilles reverdissent.

Vu de loin, cet endroit privilégié est une grosse bâtisse de pierre aux croisées étudiées tout juste pour que la maison soit habitable aussi bien l’été par les chaleurs accablantes que l’hiver par le froid rigoureux qui sévit pendant de longs mois : c’est que l’on se trouve à plus de 1 000 m d’altitude ! Au sein de la petite population voisine, le Mas de Vinaigre est vu de façon plus disparate.

Pour les uns, c’est une ferme où l’on pratique essentiellement l’élevage des chevaux. II est vrai que Gaston Mercier, sa femme Réjanne et leurs enfants disposent d’une trentaine d’hectares autour de l’imposante location.

Pour les autres, qui voient peut-être plus souvent le « patron » à cheval que sur son tracteur, c’est un centre équestre ou un centre de randonnée, ce qui correspond davantage à la vocation de cette région.

Enfin, il y a ceux qui, mieux informés, savent que le mas de Vinaigre c’est autre chose, « Un lieu de vie », comme ils disent dans l’administration (DDASS ou Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales). Oui : l’activité officielle de Gaston Mercier et de Réjanne est un peu particulière.

Au Mas de Vinaigre, ils reçoivent chaque année, trois, quatre ou cinq jeunes qui viennent en séjour prolongé (équivalent à une année scolaire) se refaire une santé. Morale. Des adolescents en difficulté avec la société. Des « à-dos » de la société, en quelque sorte ! Comment, pourquoi Gaston Mercier a-t-il envisagé voici dix ans une telle démarche ? Voilà qui nécessite un peu d’histoire et de remonter aux « belles années ». Vingt ans !

Le long chemin

Mercier, « comme tous les Aveyronnais », éprouve le besoin de monter à Paris pour faire des études. « Peut-être pour vivre la vie d’étudiant », avoue-t-il aussi. Car ce n’est pas une « prépa grande école » que vise notre futur champion. « Un peu de droit un an … un peu de comptabilité … et puis j’en ai eu rapidement marre ». Il retourne au bercail juste avant mai 68.

Une période qui ne l’a pas davantage passionné qu’elle ne le préoccupe aujourd’hui. « Non, en dépit de la coïncidence avec ces événements, puisque j’avais vingt-trois ans lors de la crise estudiantine, je ne me suis jamais senti très concerné. Et je refuse aujourd’hui d’être assimilé à la génération d’écolos qui a suivi, même si j’ai moi aussi effectué ma reconversion à la campagne. Ce qui m’en distingue, c’est qu’eux n’ont pas tenu, ou sont dans un équilibre économique précaire…

De retour au pays, « j’avais besoin de me ressourcer »

De retour au pays, « j’avais besoin de me ressourcer », marié à Réjanne, aux yeux aussi bruns que les siens sont bleus et au tempérament aussi méditerranéen que le sien semble nordique lorsqu’il s’agit de dominer son caractère pendant 160 km de chevauchée, Mercier décide de se lancer dans les chevaux. Le cheval vert, la randonnée sont déjà à la mode. « Très vite, on a monté une espèce de centre de randonnées dans le Nord-Est de l’Aveyron, à Espallion exactement. » Et Mercier de décrire cette deuxième tranche de vie adulte qui durera cinq ans.

Il côtoie, rencontre au fil de ses pérégrinations sur les Causses, dans les Cévennes, les figures équestres de la région : Francis Arnaud qui était installé à la Canourgue, Paul Neyrolle qu’on surnommait « Popaul », Loulou Arnal, Yves Levacher et bien entendu Jean-Yves Bonnet avec lequel il entre­tient toujours d’excellentes relations. Ne faisaient-ils pas équipe ensemble lors de la route des Mousquetaires, aux côtés de Didier Séguret et Hughes Auffray ?

« Jean-Yves est idéaliste. Un type super, qui ne marche qu’à la passion ! Le danger, c’est vrai, c’est qu’il ne se rend pas toujours compte du moment où ce qu’il fait est récupéré à des fins qu’il ignore. Cinq ans de « randos », et puis Mercier commence à avoir l’impression de se répéter, de végéter.

Des difficultés avec le propriétaire de son établissement vont constituer un excellent prétexte à un changement de cap. Les enfants (Elsa qui a aujourd’hui vingt ans, et Emmanuelle, onze ans) grandissent, un peu de stabilité dans les rentrées du ménage serait bienvenue. Mercier se replie sur Rodez et tâte du commercial. Chez Nestlé. « C’était supportable. Je pouvais organiser mon travail comme je le voulais. Représentant, ça ne laisse pas mal de liberté. » Penser qu’il boira alors du petit lait jusqu’à l’âge de la retraite serait toutefois méconnaître le person­nage. « Quand on a le virus du cheval, qu’on a besoin d’espace, de solitude pour bien vivre, il y a un moment où le confort ça ne suffit plus. »

Le Mas Vinaigre vu d’avion. Une solide et confortable bâtisse qui rend la vie acceptable à tous, hommes et chevaux, tant l’hiver que l’été malgré les écarts de température extrêmes.

Un virus pour s’en sortir

Le Mas Vinaigre près de Laclau, ce petit pays de l’Aveyron profond (23 km de Millau), est à louer. Mercier et sa femme plongent. Avec eux, ils entraînent les chevaux qu’ils possédaient encore et reprennent leur activité équestre. Gaston n’a pas le monitorat, son statut est celui de « guide de randonnée ». « On est reparti comme des petits jeunes. Mais le profil du client moyen évoluait.

Beaucoup de jeunes qui se trouvaient bien à la maison. Des jeunes paumés, à problèmes. Nous faisions partie de l’ARTE qui, compte tenu de notre structure d’accueil très familiale nous envoyait systématiquement les mômes seuls. De là à instituer une situation de fait il n’y avait qu’un pas. Cette évolution n’était pas pour nous déplaire. Alors, Réjanne ayant une formation pour appréhender ce genre de situation, nous avons pensé structurer ce qui était finalement notre lot quotidien. La DDASS a trouvé notre projet intéressant.

Voilà. De cette expérience, Gaston Mercier, par pudeur, par respect pour les adolescents passés au Mas de Vinaigre, n’aime pas trop parler. « Au départ les jeunes qui souhaitent venir au Mas de Vinaigre ont une idée fausse du cheval. Ils ne voient que le bon côté de la chose. En fait, vivre ici, dans l’isolement, c’est dur. Il y a beaucoup de travail. Peu s’accrochent, peu s’en sortent. » Déçu de l’expérience ? « Pas du tout. Il y a aussi des résultats encourageants. » Une vie de famille ouverte sur les autres, très prenante et pleine de dangers. « Il faut que le jeune se sente chez lui tout en sachant que cette famille n’est pas la sienne. Et la réciproque est vraie pour nous. »

Situation, on l’imagine, pas toujours facile à « gérer », où, pour tenir, il faut aussi un exutoire.

Cette porte de sortie indispensable aura bientôt un nom sacré pour Mercier, quarante-deux ans, 1, 70 m, sec comme un coup de trique Endurance. Mercier ne fait pas partie des pionniers de cette discipline venue d’Amérique, les Letartre, Laudat, Chambost, etc. Son copain, associé ou mieux encore « sparring-partner », Raymond Johnson explique :  » Gaston est un type fondamentalement sportif et il trouvait que certaines règles de cette discipline naissante, les techniques appropriées, les connaissances, les comportements manquaient de précision et de rigueur. »

Mercier attend son heure.

Comme toujours en équitation, celle-ci coïncide avec la rencontre d’un cheval exceptionnel : Mao IV. Le petit gris naît en 78. A lui tout seul il est le fil conducteur de la carrière du champion d’Europe. Nous sommes en 77. Réjanne Mercier monte régulièrement une jument qui s’appelle Cassalia. Mais comme elle vient d’accoucher de « Titi », la décision est prise de faire saillir Cassalia. Gaston ne se casse pas la tête. Il a gardé des copains en Lozère où il avait fait ses débuts, dont M. Bordes qui tente avec le Syndicat d’éleveurs de la région une expé­rience de monte en liberté sur le mont Morges, un parc de trois cents hectares. L’étalon de service appartient alors (encore) aux Haras Nationaux. Gosse d’Avril est officiellement un Pur-sang arabe, ce que conteste toutefois Mer­cier. « Il a davantage un profil d’Anglo (..). Il doit y avoir quelque part une erreur d’écriture ou d’autre chose (..). D’ailleurs, quelques années plus tard les Haras l’ont vendu à un particulier dans l’Aude, c’est dire. »

Adeptes de l’hibernation

Dire par exemple que, arabe ou pas, ce Gosse d’Avril ne devait pas être un si mauvais géniteur que ça ! Cassalia au printemps suivant met en effet au monde un poulain qui, s’il n’a rien d’extraordinaire, a pour lui d’être bien fait. Dans le lot des chevaux que Mercier possède (une quinzaine), il ne se distinguera après une croissance et un débourrage sans histoire que par sa flemmardise caractérielle.

« A quatre ans nos poulains entament leur première saison de randonnée : celle où on les forme, où on les teste. Mao était d’une fainéantise à toute épreuve. Rapidement son « client » se trouvait en difficulté à 200 m derrière les autres »· A cinq ans le cas s’aggrave ! « En fait, il regardait partir les autres en randonnée !» Les choses vont si mal, à en croire Mercier, qu’il décide de prendre lui-même le problème en main.

Nous sommes en 84. Epoque où, rassuré et encouragé par l’inséparable Raymond Johnson de Rodez, il décide d’aborder sérieusement l’endurance. La première compétition a lieu à Sète.  » 60 km que Mao termine les doigts dans le nez en décrochant, si ce n’est la victoire, du moins le prix de la meilleure condition. Il m’a étonné, mais ce n’était qu’un début. »

Quelques mois plus tard, à l’occasion de la régionale de Nasbinals, sur le plateau de l’Aubrac, c’est le 2ème prix de la meilleure condition.

Et puisque le cheval semble aussi à l’aise, Mercier envisage tout simplement les 130 km de Cherveux où il décroche à nouveau le prix de la meilleure condition à l’arrivée. Mercier tient-il un crack ? « Ils le pensent ». Ils … c’est-à-dire Johnson et les copains. Il n’en fallait pas plus pour tranquilliser le cavalier qui avoue sans complexe son peu d’enthousiasme pour l’entraînement forcé. « On l’a mis au frigo jusqu’au printemps suivant ».

Mais Réjanne, la patiente épouse, de le reprendre aussitôt : « tu veux dire que vous avez tous les deux hiberné un peu plus que nécessaire ». De fait, la reprise début 85 est un peu laborieuse. « A Allan, je finis 6ème sans conviction. Ma plus mauvaise course ! Curieusement je suis quand même sélectionné pour le championnat d’Europe de Rosenau en Autriche. Mais là je reste sur la touche : Mao a pris froid pendant le transport ».

Au repos, le cœur de Mao bat à 28 pulsations/minute : exceptionnellement bas.

Sur la fin de saison, toutefois, le couple se réveille et retrouve sa superbe. « A Florac, sur l’épreuve que je considère toujours comme la plus difficile du monde, nous finissons 2ème avec la meilleure condition. Deux mois plus tard, sur les 200 km de Montcuq, même scénario ».

Alors, 86 sous les mêmes auspices ? « Hélas non !

Et pour les mêmes raisons qu’en 85, un manque de préparation avant l’ouverture de la saison. A Allan, le cheval souffre de crampes au 120ème km. Je l’arrête. A Cherveux, il souffre d’un coup de chaleur le premier jour. Et puis l’été passe et sur le tard Mao signe trois 3ème places d’affilée sans souffrir. La preuve, il décroche aussi à chaque fois le prix de la meilleure condition.

Cette fois la fusée est sur orbite pour 87. « J’ai essayé de tirer les enseignements des saisons précédentes et j’ai placé mon objectif principal de la saison plus tôt. Une visée juste puisqu’à Erlangen, après une course tactiquement parfaite, sur un cheval au sommet de sa forme, Gaston Mercier est le premier Français à décrocher le titre européen.

Récit raccourci d’une carrière dont on approfondira deux aspects. D’abord celui touchant au cheval, Mao, qui semble être l’archétype du cheval d’endurance. Qui est-il ? Ensuite, place à l’homme. Dans quel esprit Mercier aborde-t-il une compétition, quelle est sa conception de l’endurance ?

Au repos, le cœur de Mao bat à 28 pulsations/minute : exceptionnellement bas.

Mao IV ? Un raseur de tapis !

Mao IV. L’athlète en action. Râblé, musclé – davantage d’ailleurs que le cheval type tel qu’il est souvent décrit pour l’endurance – ce fils de Gosse d’Avril présumé Arabe de pure souche et de mère espagnole est surtout un cheval au mental d’acier. Et par conséquent froid !

Si un mot caractérise Mao IV ainsi que toute la lignée des filles et fils de Cassalia qui a donné cinq autres poulains (dont deux jumeaux qui n’ont pas survécu), c’est : sobriété. « Au départ, il faut un cheval aux aplombs parfaits, aux pieds solides, aux paturons courts, à la poitrine profonde, bref un cheval carré mais sans masse musculaire excessive.

En endurance, moins il y a de muscles à nourrir moins on risque de problèmes ». Mimoun, Zatopeck … vous voyez. « Côté « allures », il faut qu’elles soient économiques avant tout, Mao est un raseur de tapis. A cela s’ajoutent des qualités de récupération cardiaque « exceptionnelles ». Selon un vétérinaire américain qui était à Erlangen, à chaque contrôle véto, il revenait en moins de 7 minutes à son rythme de base qui est de 28 pulsations au repos. Un physique sans faille mais aussi un tempérament « pratique ». On l’a vu, Mao est froid. « Il est parfaitement équilibré. Lorsqu’il est installé dans un train, au trot ou galop, il n’en sort que lorsqu’on le lui demande. »

Brave petit cheval blanc… tous derrière et lui devant… Rien en fait n’est plus inexact ! … Du moins. Jusqu’à la ligne d’arrivée !

Pour Gaston Mercier, qui a pas mal cogité avant de se lancer dans le raid d’endurance – et qui n’a pas cessé depuis – « la course de fond à cheval est d’abord une compétition. Si l’on se réfère à tout ce que l’on voit dans le genre, tant chez les humains que dans les sports mécaniques par exemple, le secret en endurance, c’est de ménager le compétiteur ou la machine le plus longtemps possible – tout en restant dans la course, bien sûr. C’est l’unique solution pour finir fort et éventuellement l’emporter ».

Raisonnement exempt de toute critique mais qui, à son avis, est encore loin d’avoir fait son chemin dans toutes les mentalités. « Il y a ceux qui en sont encore à la formule « terminer c’est gagner » · Je ne suis pas contre l’idée. Elle est généreuse, mais elle va à l’encontre de tout concept de compétition, auquel je suis personnellement attaché. Et puis il y a ceux qui souhaitent effectivement cette confrontation mais qui n’ont pas encore assimilé le fonctionnement de l’endurance. Ils partent en général trop vite et finissent à la rame. C’est là où celui qui a conduit une course intelligente, c’est-à-dire sans puiser dans le capital énergétique de son cheval, se trouve en position de force. Quel régal de pouvoir finir une course de 160 km avec un cheval qui prend de lui-même le galop de chasse à quelques kilomètres de l’arrivée et qui vient croquer ses adversaires sur la fin !  »

Et Mercier, qui galope alors lui aussi dans sa tête, dont l’œil brille, d’ajouter : « alors là tu oublies toutes les fatigues, toutes ces heures de selle à attendre, toute l’angoisse de savoir si oui ou non tu tiendras. C’est ça le raid d’endurance. Et c’est à ce prix seulement qu’il devien­dra un spectacle pour ceux qui y assis­tent, et donc qu’il se développera ».